Au Sénégal, les marraines de quartier en première ligne pour la vaccination

Pour améliorer l’accès aux structures sanitaires et assurer une meilleure prise en charge de la santé maternelle et infantile, le Sénégal s’appuie sur les bajenu gox, des marraines de quartier, qui assurent le relais entre la communauté et les soignants. Un rôle essentiel dans les changements de comportements, notamment sur la vaccination.

  • 22 septembre 2023
  • 5 min de lecture
  • par Clémence Cluzel
S’appuyant sur la figure de la bajen, la tante paternelle qui fait office de marraine, des milliers de femmes ont été formées pour être les intermédiaires entre les structures sanitaires et la population. Crédit : Clémence Cluzel
S’appuyant sur la figure de la bajen, la tante paternelle qui fait office de marraine, des milliers de femmes ont été formées pour être les intermédiaires entre les structures sanitaires et la population. Crédit : Clémence Cluzel
 

 

Comme plusieurs fois par semaine, des mamans patientent dans la cour du poste de santé de l’Unité 4 de Parcelles Assainies, en banlieue de Dakar. Parmi elles, Khady, 27 ans, est venue faire vacciner son fils de 3 mois ½. Dès la maternité, les mères sont sensibilisées à l’importance de la vaccination mais aussi de l’allaitement maternel et à la planification familiale.

Au Sénégal, les enfants de 0 à 5 ans sont vaccinés gratuitement. Depuis 2020, le calendrier vaccinal a été modifié avec l’ajout de deux nouveaux vaccins dont l’un contre le cancer du col de l’utérus (VPH), destiné aux filles entre 9 et 14 ans. Le Sénégal a été le premier pays en Afrique de l’Ouest à introduire ce vaccin, fin octobre 2018, dans son programme élargi de vaccination. Ce cancer est le premier cancer gynécologique dans le pays.

Gardiennes de la santé

Par méconnaissance, à cause de l’éloignement géographique ou de fausses croyances, comme l’idée que la vaccination rendrait stérile, « les mères ont toujours du mal à respecter le calendrier vaccinal » confie Magatte Gaye, présidente des bajenu gox de la commune de Golfe Sud à Dakar. C’est pour contourner ces obstacles aux conséquences dramatiques pour la santé maternelle et infantile que l’ancien président Abdoulaye Wade a créé en 2010 le statut de bajenu gox (marraine de quartier en wolof) : s’appuyant sur la figure de la bajen, la tante paternelle qui fait office de marraine, 8 600 femmes réparties dans les 14 régions du pays ont été formées comme relais communautaires pour être les intermédiaires entre les structures sanitaires et la population.

Alors que la motivation des bajenu gox, toutes bénévoles, s’était émoussée, le gouvernement a décidé depuis le 12 juin de leur octroyer un salaire mensuel de 25 000 Fcfa ainsi qu’une subvention pour leur association, pour saluer leur rôle crucial dans la santé publique.

Ni sage-femme, ni infirmière, elles sensibilisent à la vaccination des enfants, la planification familiale, le suivi pré et post-grossesse, la lutte contre la malnutrition… Habituellement âgées, elles sont respectées pour leur expérience. « Nous voulons aider notre communauté. L’engagement est la base de nos actions » appuie Mme Gueye, bajenu gox depuis 2010. Elles apportent un soutien essentiel au système de santé sénégalais et pourraient aider à contourner les difficultés d’accès, plus encore dans les régions où les médecins manquent.

Sensibiliser les populations

Après le poste de santé, Mme Gueye se dirige dans les ruelles sablonneuses du quartier pour débuter ses visites à domicile, l’une des activités phares des marraines, en plus des causeries (séances d’information communautaires sur l’allaitement, la nutrition etc).

Parmi les missions des bajenu gox, le respect du calendrier vaccinal des bébés.
Crédit : Clémence Cluzel

Dans la cour d’une maison où plusieurs générations de femmes sont en train d’échanger, elle débute à sensibiliser sur le cancer du col de l’utérus, insistant sur l’importance de vacciner les jeunes filles. Mère de deux adolescentes de 12 et 11 ans, Amy Thiaw découvre ainsi l’existence de ce vaccin. « Ce cancer est vraiment grave, ce vaccin est une bonne chose » réagit elle, assurant amener ses filles se faire vacciner dès le lendemain. Magatte Gaye en profite pour montrer comment s’autopalper la poitrine pour détecter un éventuel cancer du sein.

Dans une autre maison, les trois fillettes de 9 à 11 ans ont toutes été vaccinées lors d’une campagne de vaccination au sein de leur école. Elles attendent leur deuxième dose pour compléter le schéma vaccinal. « Les enfants reçoivent leur première dose mais les rappels sont souvent délaissés » regrette-t-elle.

Au-delà d’orienter de nouveaux patients, grâce à leur étroite collaboration avec la structure sanitaire à laquelle elles sont rattachées, elles assurent le suivi des femmes et enfants et interviennent également auprès des patientes « perdues de vue ». « Elles nous aident en référant des patientes mais aussi en nous permettant de faire respecter les rendez-vous médicaux. Leur rôle est donc très important » assure Mustapha Barry, infirmier chef de poste de l’Unité 4. Chaque mois, elles fournissent ainsi des rapports sur leurs activités.

Médiatrice familiale, la bajenu gox aide également à résoudre des conflits au sein des ménages et intervient auprès des autorités religieuses, contribuant ainsi aux changements de comportement.

Des progrès notables

La santé maternelle et infantile est l’une des priorités du Plan Sénégal Emergent, programme du président Macky Sall pour accélérer le développement du pays. Le Sénégal affiche de bons résultats sur la mortalité infantile, néonatale et maternelle : entre 1997 et 2017, la mortalité infantile est passée de 68 à 42 décès pour 1 000 naissances vivantes, selon le Plan national de développement sanitaire et social. Des résultats dus notamment aux bajenu gox.

Mais les efforts doivent persister pour atteindre l’objectif de développement durable de 25 décès pour 1 000 naissances vivantes d’ici 2030. Alors que la motivation des bajenu gox, toutes bénévoles, s’était émoussée, le gouvernement a décidé depuis le 12 juin de leur octroyer un salaire mensuel de 25 000 Fcfa (38.11 euros) ainsi qu’une subvention pour leur association, pour saluer « leur apport inestimable dans la solution de certains problèmes sociaux » et leur rôle crucial dans la santé publique. Un moyen de pérenniser leur activité : même « si ce n’est pas une grosse somme, cela motive tout de même » reconnait Ndoungou Mbaye, bajenu gox depuis 2011 et parmi les jeunes recrues intervenant auprès des adolescentes. « Le salaire remotive les troupes ! J’espère que ça va accentuer l’assiduité et l’engagement » appelle Magatte Gaye.


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