ZIP : une nouvelle stratégie pour arriver à vacciner les enfants zéro dose dans certaines des régions les plus inaccessibles du monde

Avec le lancement du programme de vaccination des enfants zéro dose, Gavi et son réseau de partenaires spécialistes de la question sont prêts à fournir des soins de santé aux enfants jusque dans certaines des zones frontalières les plus inaccessibles du monde.

  • 29 novembre 2022
  • 6 min de lecture
  • par Personnel de Gavi
Akosombo, région Orientale du Ghana : enregistrement des données biométriques d'un enfant dans une nouvelle base de données, lors d’une séance de vaccination communautaire associée à un contrôle médical. Gavi/2022/Nipah Dennis
Akosombo, région Orientale du Ghana : enregistrement des données biométriques d'un enfant dans une nouvelle base de données, lors d’une séance de vaccination communautaire associée à un contrôle médical. Gavi/2022/Nipah Dennis
 

 

Des millions d'enfants vivant dans les zones fragiles du Sahel et de la Corne de l'Afrique sont toujours invisibles aux yeux des services de santé, ce qui les prive des vaccins essentiels. Pour aider les gouvernements à remédier à cette situation, Gavi lance un nouveau type de partenariat, une sorte de super ligue de vaccination : le Programme de vaccination des enfants zéro dose ou ZIP (pour Zero-dose Immunisation Programme).

Dans ces pays, les frontières sont poreuses, et couramment franchies par les populations qui sont nomades par nature, ou qui ont été déplacées suite à des conflits armés ou des catastrophes naturelles comme les inondations.

Dans les 30 mois qui viennent, deux consortiums regroupant des organisations bien implantées dans la région et bien au courant de la complexité de la situation vont investir 100 millions de dollars pour retrouver ces millions de personnes manquantes, et les faire bénéficier des services sanitaires.

Pays desservis par le nouveau programme de vaccination des enfants zéro dose de Gavi

ZIP map

Dans la région du Sahel, World Vision pilotera un consortium d'organisations comprenant notamment la Plateforme des associations chrétiennes africaines de la santé (ACHAP), Food for the Hungry, CORE Group ainsi que d'autres partenaires locaux, pour faire la lumière sur les angles morts de la vaccination au Burkina Faso, au Cameroun, en République centrafricaine (RCA), au Tchad, au Niger, au Nigéria et au Mali.

Dans la Corne de l'Afrique, l'International Rescue Committee (IRC) dirigera un réseau de partenaires comprenant Acasus, Flowminder, l'Organisation internationale pour les Migrations (OIM), ThinkPlace et des partenaires locaux, pour atteindre les populations vulnérables zéro dose en Éthiopie, en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud.

Les angles morts de la vaccination

Au cours des 20 dernières années, l'accès à la vaccination s'est développé avec un tel dynamisme dans les pays à faible revenu que dans de nombreux endroits, la vaccination infantile représente désormais le fer de lance des soins de santé. Les vaccins font désormais partie de la routine, même chez ceux qui n’ont pas ou qui ont peu de contacts avec les organismes de protection sanitaire et sociale. Dans de nombreuses communautés isolées, l'agent de santé chargé de la vaccination, avec sa glacière bleue remplie de vaccins, est devenu le représentant familier d'un système de soins de santé encore éloigné.

Mais selon les estimations, quelque 12,4 millions d'enfants sont exclus de ce tableau idyllique. Et ils sont confrontés à un risque imminent : cette cohorte mondiale, éclatée à travers le monde, d'enfants oubliés et non protégés - appelés enfants zéro dose, en référence au fait qu'ils n'ont pas même reçu une seule dose des vaccins les plus essentiels - représente la moitié des enfants qui meurent avant l'âge de cinq ans.

Au moins quatre millions d'enfants zéro dose vivent dans onze pays situés au Sahel et dans la Corne de l'Afrique. Selon Amy LaTrielle, Directrice du département Pays en situation de fragilité et de conflit chez Gavi, cette situation d’exclusion est souvent due à un décalage entre les cartes officielles et la réalité quotidienne des populations marginalisées.

« Dans ces pays, les frontières sont poreuses, et couramment franchies par les populations qui sont nomades par nature, ou qui ont été déplacées suite aux conflits armés ou aux catastrophes naturelles comme les inondations », explique Amy LaTrielle. « Nous savons que les enfants zéro dose sont nombreux dans ces communautés ».

D’habitude, Gavi travaille avec les gouvernements des différents pays, selon une approche individualisée qui a fait ses preuves. Mais cela ne marche pas quand il s’agit des zones frontalières.

C’est alors qu’intervient le programme ZIP

« Nous avons essayé de pallier l'incapacité à atteindre ces populations transfrontalières en concevant un projet régional », explique Amy LaTrielle. « Mais il ne fallait pas que cela se fasse au détriment des spécificités locales. Dans les consortiums dirigés par l'IRC et World Vision, Gavi a trouvé des partenaires « qui possèdent une grande et vaste expérience dans ce domaine ».

L'IRC possède à lui seul plus de 30 ans d'expérience dans la négociation de l'accès humanitaire dans la Corne de l'Afrique, et « des compétences en matière de prestation de services dans des théâtres d’opération volatils, tout en sachant adapter ses programmes aux données obtenues en temps réel », ainsi que l’expose Shiferaw Demissie, Chef de projet à l’IRC, chargé du consortium REACH financé par Gavi.

Mais l’IRC n'est pas seul. Il dispose d'un soutien important : chaque membre du consortium œuvrant dans la Corne de l’Afrique possède des compétences spécifiques, a développé, selon M. Demissie, « des relations de confiance avec les communautés, et établi des partenariats étroits avec les autorités locales et gouvernementales ». L'OIM, par exemple, dispose de 16 bureaux répartis en Éthiopie, au Soudan et au Soudan du Sud, et d'une « expertise approfondie en matière de cartographie et de suivi des populations déplacées ».

De même, World Vision et ses partenaires ont à la fois une forte présence et une grande expérience de la mise en place de programmes dans les sept pays cibles de la région du Sahel. La densité de la présence des partenaires dans chaque région est d’une importance capitale, car le contexte local est éminemment variable et les problèmes sont différents d’un endroit à l’autre. Comme le soulignait un porte-parole de World Vision dans un de ses courriels « les problèmes de sécurité récurrents et imprévisibles (qu’il s’agisse de combats intercommunautaires, de vols de bétail, de conflits entre forces gouvernementales et acteurs non étatiques, etc.) peuvent limiter l'accès aux services de santé, mettre en danger la sécurité du personnel et des communautés et entraîner des déplacements de population au sein des pays concernés et par-delà leurs frontières ».

« Ce sont des réalités que nous, membres du consortium, devons intégrer, anticiper et chercher à atténuer, afin de maintenir les services de santé et de vaccination. C'est précisément à ce niveau que les partenariats avec la société civile et les organisations locales sont essentiels », poursuit le représentant de World Vision.

Selon Shiferaw Demissie, de l'IRC, il faut s’attendre à ce que certaines communautés de la Corne de l'Afrique soient confrontées à des problèmes d'accès, que ce soit du fait de l'insuffisance des infrastructures ou des blocages imposés par des groupes d'insurgés, ou des déplacements causés par le réchauffement climatique. Il faudra alors peut-être s’attacher, dans certains endroits, à instaurer la confiance au sein des communautés, et dans d’autres, accorder la priorité à l’information des chefs religieux et des chefs nomades pour leur faire comprendre l'importance de la vaccination.

Pour assurer un accès correct à la vaccination, il faut donc à la fois faire preuve d’une certaine proximité et d’une certaine compréhension. « Il faut pouvoir discuter avec les communautés, dans leur propre langue, pour comprendre quels sont les obstacles qui les empêchent d’accéder à la vaccination. Pourquoi y a-t-il des enfants zéro dose ? On sait que l’accès des enfants aux services de santé dépend du sexe de ceux qui en ont la garde. On sait aussi que l’éloignement des centres de santé, leurs jours et heures d’ouverture, ou les problèmes de sécurité pour y parvenir font partie des obstacles à la vaccination. Mais ces réponses doivent venir des communautés elles-mêmes », reconnaît Amy LaTrielle.

Il faut comprendre la dimension de genre et la prendre en compte dans la conception des interventions. Et surtout, il faut que ce soient des membres de la communauté qui effectuent le travail sur le terrain - pas des travailleurs qui viennent de la capitale, et encore moins du personnel international parachuté. « Ce sont les communautés qui doivent définir l’approche à adopter, en s’appuyant sur l'expertise des membres du consortium, pour concevoir les actions de proximité les plus efficaces pour atteindre les enfants zéro dose », ajoute-t-elle.

Atteindre les enfants là où ils sont, et comme ils sont

De même que les communautés zéro dose du monde entier, les populations ciblées par le programme ZIP au Sahel et dans la Corne de l'Afrique sont pas privées uniquement de vaccinations. Les recherches montrent que deux tiers des enfants zéro dose vivent dans des ménages très pauvres confrontés à de multiples privations, notamment au manque d'accès aux services de santé reproductive, à l'eau potable et à un bon système d'assainissement.

Là encore, la vaccination est probablement l'un des premiers services sanitaires à établir un lien avec les communautés. Il faut faire en sorte que ce ne soit pas le dernier.

« Pour que le projet ZIP soit un succès, il faut d’abord que les enfants zéro dose reçoivent la série complète des vaccins essentiels, et pas seulement la première dose », explique Amy LaTrielle. « Et nous devons nous assurer que les financements accordés à la vaccination de proximité s’inscrivent en complément d’autres projets, de façon à l’intégrer à l’ensemble des services de santé. »

Selon M. Demissie de l'IRC, le consortium n’a pas pour seul objectif de vacciner les enfants ; il veut aussi « étendre son action à tous les services de santé pour s'assurer que ces enfants sont bien pris en compte. »

De même, la mission menée au Sahel « ne se limitera pas à l'administration des vaccins aux enfants », précise World Vision. « Elle s’attaquera aux causes profondes de la présence d’enfants zéro dose, aussi bien au niveau des communautés qu’au niveau des systèmes de santé et cherchera à renforcer la résilience des services sanitaires, pour que les enfants et les communautés zéro dose puissent en bénéficier malgré les obstacles pour y accéder.

L'objectif, c’est l'équité. Autrement dit, il s’agit d’un objectif révolutionnaire.