La Sierra Leone prévoit une campagne de vaccination imminente contre le paludisme, première cause de mortalité infantile dans le pays

Les vaccins commenceront à être déployés le 25 avril en Sierra Leone – ce qui n’est pas trop tôt dans un pays où le paludisme est à l’origine de la moitié des consultations infantiles à l’hôpital.

  • 25 avril 2024
  • 6 min de lecture
  • par Umaru Fofana
Mercy Shem, une mère de quatre enfants vivant à Mukende, un village de brousse, peut désormais s’occuper plus facilement de son fils cadet, Amory Shem, celui-ci ayant reçu la première dose de vaccin contre le paludisme. Kenya, 2023. Crédit : Gavi/2023/Kelvin Juma
Mercy Shem, une mère de quatre enfants vivant à Mukende, un village de brousse, peut désormais s’occuper plus facilement de son fils cadet, Amory Shem, celui-ci ayant reçu la première dose de vaccin contre le paludisme. Kenya, 2023. Crédit : Gavi/2023/Kelvin Juma
 

 

Sulaiman est allongé sur un lit au sein de l’unité de soins intensifs de l’hôpital pour enfants Ola During (ODCH) à Freetown, le principal établissement pédiatrique de Sierra Leone. Il est émacié et faible. Sa mère le regarde avec consternation, essuyant des larmes par intermittence. Elle ne sait pas si son enfant va mourir ou survivre. Le petit garçon a été admis à l'hôpital il y a une semaine. 

Le garçonnet âgé de quatre ans est l’un des nombreux enfants atteints de paludisme en Sierra Leone, la maladie la plus meurtrière du pays. Selon le docteur Freddie Coker, consultant responsable de l’unité de soins intensifs à l’ODCH, « plus de 50 % de tous les enfants amenés à l’hôpital représentent des cas de paludisme. » À l’échelle nationale, 47 % des consultations externes d’enfants de moins de cinq ans dans les hôpitaux concernent le paludisme. Il est estimé que le paludisme est responsable de 37.6 % des cas d’hospitalisation.

Selon les estimations du Rapport mondial sur le paludisme de 2023, 2,7 millions de Sierra-Léonais ont contracté le paludisme en 2022. Parmi eux, 8 200 environ n’ont pas survécu.

Certains enfants sont amenés ici alors que le parasite plasmodium a déjà fait des ravages dans leur système fragile. Un garçon de sept ans, allongé sur un lit voisin de celui de Sulaiman, ne le sait que trop bien. Il souffre d’une maladie rénale due au paludisme, indiquent les médecins qui s’efforcent de le stabiliser.

« Le paludisme est la première cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans en Sierra Leone », déclare le docteur Coker, qui ajoute qu’en raison de la pauvreté, il est plus difficile pour de nombreux enfants de recevoir un traitement précoce ou adéquat.

Il existe un système de soins de santé gratuits pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans dans les hôpitaux publics de la Sierra Leone, qui manquent de ressources. Mais pour un grand nombre d’entre eux, même le prix du transport jusqu’à l’hôpital peut représenter une fortune.

Abdul Bangura, un bébé de six mois, est allongé sur un lit du service des urgences à l’ODCH. Les médecins déclarent qu’il souffre « d’une anémie importante » après une grave crise de paludisme, et il subit une transfusion sanguine. Tandis qu’un liquide rouge s’écoule dans les tubes, sa mère, YaAlimamy Bangura, le regarde, désemparée.

Le docteur David Jongo, responsable du service des urgences, explique qu’il est courant que les parents se présentent avec leurs enfants malades lorsque la maladie est à un stade avancé. « Très souvent, ils souffrent de plusieurs complications », explique-t-il, et il admet que le paludisme est un « problème très grave, puisque 90 % des enfants que nous accueillons sont testés positifs », même s’il précise que les tests rapides effectués pour détecter le parasite ne sont pas fiables à 100 %.

« Le paludisme constitue la principale cause de morbidité et de mortalité en Sierra Leone », déclare le docteur Abdul Mac Falama, responsable du Programme national de lutte contre le paludisme. Il ajoute que les chiffres sont encore très élevés même si « d’importants progrès ont été réalisés au cours des dix dernières années ». L’enquête la plus récente sur les indicateurs du paludisme, menée en 2021, révèle que la prévalence du paludisme dans le pays a été presque divisée par deux, passant de 43 % à 22 %, le nord du pays étant encore loin derrière.

Selon les estimations du Rapport mondial sur le paludisme de 2023, 2,7 millions de Sierra-Léonais ont encore contracté le paludisme en 2022. Parmi eux, 8 200 environ n’ont pas survécu.

La maladie tue principalement les enfants et les personnes âgées « en raison de la faiblesse de leur système immunitaire », explique le docteur Falama, qui ajoute que les femmes enceintes sont aussi extrêmement vulnérables.

Dans le nord du district de Koinadugu, environ une personne sur trois contracte le paludisme à un moment donné. Le docteur Falama indique que l’une des raisons de cette situation est le manque d’accès aux soins dans cette région montagneuse, qui est en outre isolée du fait d’un réseau routier insuffisant. Selon lui, les établissements de santé du district rencontrent de réelles difficultés pour obtenir des ressources, notamment des médicaments, des installations et du personnel, et les habitants adoptent un comportement « peu favorable à la santé » en raison de croyances traditionnelles qui les font hésiter à s’aventurer dans les cliniques.

Selon le docteur Falama, le paludisme est encore à l’origine de 20 % des décès d’enfants de moins de cinq ans dans le pays. La situation est encore pire dans les zones rurales, où les établissements luttent pour obtenir les médicaments et le personnel nécessaires.

« Je lutte contre le paludisme depuis que je suis enfant et il fait malheureusement partie de mon existence. »

– Mohamed Jalloh, 36 ans

Il a souligné la nécessité d’un vaccin contre le paludisme qui, à son avis, « changera la donne ». Le vaccin complétera plutôt qu’il ne remplacera les activités actuelles de prévention du paludisme, telles que l’utilisation de moustiquaires, le contrôle de l’environnement et la chimioprévention du paludisme, mais le docteur Falama prévoit que l’ajout de cette couche de protection supplémentaire s’avérera très important.

« Les deux premières années d’un enfant seront riches en interventions médicales qui pourraient faire du paludisme une maladie du passé plus tôt que ce qu’on peut imaginer », a annoncé le docteur Falama.

À l’heure actuelle, au cours de leurs 14 premières semaines de vie, les enfants reçoivent du Fansidar, un médicament antipaludique composé de sulfadoxine et de pyriméthamine. La prise du médicament sera bientôt immédiatement suivie de trois doses de vaccin avant que l’enfant n’atteigne l’âge de neuf mois.

« Le dernier vaccin sera administré à 18 mois, ce qui renforcera leur mécanisme de défense contre le paludisme », a-t-il indiqué.

La Sierra Leone a également mis en place des interventions pour les adultes. Par exemple, le dépistage et le traitement du paludisme sont gratuits pour toutes les catégories d’âge dans les hôpitaux publics. Mais faire venir les patients depuis leur domicile jusqu’à un établissement de santé proche constitue un défi pour de nombreuses familles sans ressources. Et parfois, lorsque les patients se présentent dans les établissements de santé, ils doivent acheter des médicaments dans des pharmacies extérieures au service, car les médicaments gratuits ne sont pas toujours disponibles dans le dispensaire de l’hôpital.

« Certains des parents qui amènent des enfants malades sont si pauvres qu’ils n’ont même pas de quoi se nourrir, encore moins de quoi nourrir les enfants », explique le docteur Coker.

Mais les enfants ne sont pas les seuls à risquer de souffrir du paludisme. Mohamed Jalloh est allongé dans une salle du principal hôpital de référence du pays, Connaught. Fiévreux, les yeux jaunes, ce père de deux enfants, âgé de 36 ans, a le souffle haletant. Le résultat du test confirme le paludisme.

« Je lutte contre le paludisme depuis que je suis enfant et il fait malheureusement partie de mon existence » confie-t-il. Alors qu’il essaie de boire une gorgée d’eau, il peine à avaler le liquide. Il a perdu l’appétit. Les médecins tentent d’effectuer une intervention par voie intraveineuse, ne serait-ce que pour le réhydrater.

La situation est tout aussi désastreuse à la maternité Princess Christian. Plusieurs femmes enceintes présentent de fortes fièvres. La bataille est engagée pour apprivoiser le parasite du paludisme et les protéger, ainsi que leurs bébés à naître. Une femme présente tous les signes de la maladie. Elle transpire alors même que la température dans la salle n’est pas élevée. Haletante sur le lit, elle explique : « Je m’inquiète autant pour moi que pour mon enfant à naître. » La jeune femme de 31 ans, qui préfère garder l’anonymat, est déjà sous le choc de la perte de son enfant, mort du paludisme à l’âge de trois ans à peine. Au cours des dix dernières années, elle a également perdu deux de ses frères et sœurs à cause du paludisme.

Le directeur du Programme national de lutte contre le paludisme, le docteur Falama, estime que cette situation appartiendra au passé « dès lors que nous aurons complété nos interventions existantes par les doses de vaccins, dont certaines sont déjà ici [dans le pays] ». Le début du déploiement est prévu, enfin, cette semaine.

Pour Sulaiman, âgé de quatre ans et soigné à l’hôpital ODCH, le vaccin arrive peut-être trop tard. Mais les nombreuses femmes enceintes de la maternité sont impatientes de recevoir leur injection.