Portrait vaccinal : le vaccin contre la Shigella

Les cas de dysenterie remontent à l’Antiquité, mais ce n’est qu’au 19ème siècle que l’on a découvert la bactérie à l’origine de cette maladie : la Shigella. Les nouveaux vaccins qui se profilent à l’horizon pourraient avoir un impact considérable dans les pays à faible revenu où cette maladie mortelle sévit principalement.

  • 15 février 2024
  • 5 min de lecture
  • par Linda Geddes
Illustration 3D de la bactérie Shigella, en forme de bâtonnet, à l’origine de la shigellose ou dysenterie, une infection d’origine alimentaire.
Illustration 3D de la bactérie Shigella, en forme de bâtonnet, à l’origine de la shigellose ou dysenterie, une infection d’origine alimentaire.
 

 

En 1897, une épidémie massive de Sekiri, ou « diarrhée rouge », au Japon a tué plus de 20 000 personnes en l’espace de six mois.

Les épidémies de dysenterie étaient courantes au Japon au 19ème siècle et ailleurs, mais elles étaient documentées depuis les temps bibliques, le médecin grec Hippocrate ayant inventé le terme de dysenterie (troubles intestinaux) pour décrire les douleurs rectales et la diarrhée sanglante contenant du mucus qu’elles provoquaient.

Chaque année, la Shigella est encore à l’origine de 28 000 et 64 000 décès d’enfants dans les pays à faible revenu.

Avec un taux de mortalité de plus de 20 %, la peur provoquée par ces épidémies était palpable. Le Dr Kiyoshi Shiga, bactériologiste japonais, a qualifié la dysenterie de « maladie la plus redoutée des enfants » en raison de son apparition soudaine et grave et du risque élevé de décès.

Mais l’épidémie de 1897 a marqué un tournant dans la lutte séculaire contre ce fléau. En s’appuyant sur les techniques scientifiques les plus récentes, le Dr Shiga est parvenu à isoler et à identifier le micro-organisme responsable à partir des matières fécales des patients affectés – une bactérie que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Shigella.

Aujourd’hui, les antibiotiques et l’amélioration des conditions sanitaires ont considérablement réduit la fréquence de ces dysenteries bactériennes, mais la Shigella est encore à l’origine de 28 000 et 64 000 décès d’enfants dans les pays à faible revenu chaque année.

Dans les endroits où l’eau potable et l’assainissement font défaut, les infections répétées peuvent également entraîner des retards de croissance et des troubles du développement cérébral, ce qui pourrait avoir un impact durable sur la santé et la productivité des enfants à long terme.

Cela fait plus de 100 ans que les scientifiques tentent de mettre au point des vaccins contre la Shigella. Mais avec plusieurs vaccins candidats en essais de phase 2 et 3, l’espoir grandit qu’un vaccin efficace soit enfin à portée de main.

Qu’est-ce que la shigellose ?

La Shigella appartient à une vaste famille de bactéries appelée Enterobacteriaceae (entérobactéries) et est étroitement liée à l’Escherichia coli. Il en existe quatre types principales : S. dysenteriae, S. boydii, S. flexneri et S. sonnei, qui comptent chacun plusieurs souches. Elles se transmettent par les mains sales, les aliments ou l’eau contaminés par des matières fécales humaines, ou par des mouches contaminées qui se posent sur les aliments.

Moins d’une centaine de bactéries sont nécessaires pour déclencher une infection, ce qui rend la shigellose – une variété de dysenterie – extrêmement contagieuse, et les personnes peuvent continuer à propager la bactérie pendant plusieurs semaines après leur guérison.

La Shigella est une cause majeure de diarrhée modérée à sévère dans le monde, responsable d’environ 80 à 165 millions de cas chaque année, principalement dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire (PFRI). Il s’agit également d’une cause majeure de diarrhée chez les voyageurs et le personnel militaire qui se rendent dans ces pays.

Les symptômes peuvent être modérés, mais comprennent une diarrhée aqueuse et/ou sanglante, de la fièvre, des douleurs à l’estomac et l’envie d’aller à la selle même lorsque les intestins sont vides. Ils apparaissent généralement un à trois jours après l’infection et durent environ sept jours.

Bien que de nombreuses personnes se rétablissent avec des liquides et du repos, les infections graves sont traitées à l’aide d’antibiotiques, ce qui fait de la résistance aux antimicrobiens (RAM) un problème croissant. Cela pourrait rendre le traitement de plus en plus complexe et coûteux : une étude systématique des infections à Shigella associées aux voyages a révélé que le pourcentage d’infections résistantes aux médicaments a augmenté, passant de 19 % entre 1990 et 1999 à 65 % entre 2000 et 2009. Un vaccin contre la Shigella contribuerait à résoudre ce problème en réduisant la dépendance des pays à l’égard des antibiotiques pour traiter ces infections ; la surconsommation d’antibiotiques est l’un des principaux facteurs de la résistance aux antimicrobiens.

Nous disposons par ailleurs d’un nombre croissant de données probantes établissant un lien entre la Shigella et le retard de croissance et l’invalidité à long terme, ce qui signifie qu’un vaccin pourrait apporter des avantages économiques et sociétaux potentiellement considérables à long terme.

Mise au point du vaccin

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a classé la Shigella parmi les agents pathogènes prioritaires pour la mise au point de nouveaux vaccins, mais en dépit de décennies de recherche, il n’existe actuellement aucun vaccin homologué à grande échelle.

L’absence d’incitation commerciale à développer de tels vaccins s’avère être un problème, dans la mesure où la shigellose touche principalement les pays à faible revenu qui n’ont pas nécessairement les moyens de financer la recherche et le développement nécessaires ou de s’engager à acheter des doses à l’avance. Cette défaillance du marché est l’une des principales raisons pour lesquelles Gavi, l’Alliance du Vaccin a été créée.

Une autre difficulté réside dans le fait qu’avec environ 50 souches différentes de Shigella en circulation, un vaccin contre une seule d’entre elles a peu de chances de résoudre le problème, car les personnes peuvent être réinfectées par une souche différente. La mise au point de vaccins multivalents, c’est-à-dire ciblant plusieurs types et souches de Shigella, est donc une priorité.

Des chercheurs ont estimé qu’un vaccin contenant des antigènes de S. sonnei, ainsi que trois souches de S. flexneri, pourrait couvrir jusqu’à 75 % des souches mondiales – voire jusqu’à 93 % – en raison de la réactivité croisée entre les anticorps générés par le vaccin et les antigènes d’autres souches apparentées de Shigella.

Vaccins candidats

Il existe à l’heure actuelle neuf candidats vaccins contre la Shigella qui sont en cours d’essais cliniques. Il s’agit de cinq vaccins à base de protéines ou de polysaccharides, conçus pour une injection intramusculaire, et de quatre vaccins oraux basés sur des bactéries vivantes atténuées (affaiblies) ou inactivées (tuées).

Certains de ces vaccins sont conçus pour prévenir d’autres infections, telles que l’E. Coli entérotoxique (ETEC) – une cause majeure de maladie diarrhéique et de diarrhée du voyageur dans les pays à faible revenu – ainsi que la shigellose. Ces vaccins combinés pourraient être particulièrement intéressants dans le contexte de calendriers de vaccination de plus en plus chargés et coûteux, alors que les pays cherchent à concilier des priorités sanitaires concurrentes.

Les vaccins candidats développés par GSK et une société suisse appelée LimmaTech Biologics sont particulièrement intéressants. Ces deux vaccins sont actuellement en essais de phase 2 et contiennent des antigènes de S. sonnei et de trois souches de S. flexneri. Ils sont conçus pour être administrés en deux ou trois doses.

Par ailleurs, le pipeline de vaccins est encore très jeune, et il est peu probable qu’un vaccin contre la Shigella soit largement disponible avant le début des années 2030.

Toutefois, après près d’un siècle de recherche, un vaccin efficace contre l’une des principales causes de décès par diarrhée chez les enfants est à portée de main. Non seulement ces vaccins pourraient sauver des millions de vies, mais ils pourraient également contribuer à lutter contre le problème croissant de la résistance aux antimicrobiens, qui est l’une des principales causes du retard de croissance chez les jeunes enfants.