Portrait vaccinal : le vaccin contre l'hépatite E

Un vaccin contre l’hépatite E a récemment été déployé pour enrayer une épidémie dans un camp de personnes déplacées au Soudan du Sud. Pourrait-il être prochainement utilisé à plus grande échelle ?

  • 5 février 2024
  • 7 min de lecture
  • par Linda Geddes
Illustration 3D du modèle moléculaire du virus de l’hépatite E.
Illustration 3D du modèle moléculaire du virus de l’hépatite E.
 

 

En 2021, de fortes pluies ont inondé les abris et les latrines du camp de personnes déplacées de Bentiu au Soudan du Sud, aggravant les conditions de vie déjà déplorables. Alors que les enfants jouaient dans les eaux des inondations contaminées par les égouts et que les familles se contentaient de manger des nénuphars lorsque l’aide humanitaire peinait à arriver, il n’a pas fallu longtemps pour que les habitants de la région commencent à développer une jaunisse, de la fièvre, des douleurs abdominales et d’autres signes de l’hépatite E, une maladie transmise par l’eau.

L’hépatite E est une maladie qui touche les populations les plus vulnérables du monde, se développant dans des conditions où l’accès à l’eau potable, aux toilettes et au lavage des mains est limité. Les épidémies parmi les populations déplacées, comme celle de Bentiu, sont de plus en plus fréquentes.

Bentiu est le plus grand camp de personnes déplacées du pays, et des épidémies d’hépatite E s’y sont déclarées depuis 2015. Mais l’épidémie de 2021–2022 a été particulièrement grave, avec 759 patients admis à l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) à Bentiu entre juillet 2021 et juillet 2022, parmi lesquels 17 n’ont pas survécu.

Dix ans plus tôt, le premier vaccin contre l’hépatite E au monde avait été approuvé par les autorités réglementaires chinoises. Toutefois, malgré la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) d’envisager son utilisation pour lutter contre les épidémies, il n’a jamais été utilisé en dehors de la Chine. Mais face à l’aggravation de la situation à Bentiu et à l’augmentation des cas d’hépatite E, le ministère de la Santé du Soudan du Sud a pris une mesure sans précédent en demandant à MSF d’incorporer le vaccin dans sa réponse à l’épidémie.

L’hépatite E est une maladie qui touche les populations les plus vulnérables du monde, se développant dans des conditions où l’accès à l’eau potable, aux toilettes et au lavage des mains est limité. Les épidémies parmi les populations déplacées, comme celle de Bentiu, sont de plus en plus fréquentes.

Bien qu’il existe un vaccin efficace, le manque de données sur les populations en dehors de la Chine, le manque d’expérience avec le vaccin, sa disponibilité limitée et l’absence de préqualification par l’OMS – une norme internationalement reconnue attestant de l’innocuité, de la qualité et de l’efficacité des vaccins et d’autres produits médicaux – ont limité son utilisation jusqu’à présent.

Les symptômes incluent notamment la fatigue, le manque d’appétit, les douleurs d’estomac, les nausées et la jaunisse. Bien que de nombreuses personnes ne présentent aucun symptôme et se remettent de la maladie sans complications, certaines développent une insuffisance hépatique aiguë, qui peut être fatale.

Toutefois, grâce à des essais récents et à la première campagne de vaccination de masse contre l’hépatite E au Soudan du Sud en 2022, ces lacunes commencent à être comblées, ce qui laisse espérer que les épidémies d’hépatite E pourraient prochainement appartenir au passé.

Qu’est-ce que l’hépatite E ?

L’hépatite E est une infection du foie causée par le virus de l’hépatite E (VHE), que l’on retrouve dans les selles des personnes infectées. Elle se transmet principalement par la consommation de l’eau contaminée par leurs excréments, bien que les infections se produisent aussi occasionnellement à la suite de consommation de porc, de gibier, de sanglier ou de crustacés crus ou insuffisamment cuits.

Les symptômes incluent notamment la fatigue, le manque d’appétit, les douleurs d’estomac, les nausées et la jaunisse. Bien que de nombreuses personnes ne présentent aucun symptôme et se remettent de la maladie sans complications, certaines développent une insuffisance hépatique aiguë, qui peut être fatale. Les femmes enceintes – en particulier celles qui en sont au deuxième ou au troisième trimestre de grossesse – sont les plus exposées, et jusqu’à 25 % des personnes infectées au cours du troisième trimestre décèdent de la maladie. Elles présentent également un risque accru de fausse couche et d’accouchement d’un enfant mort-né.

L’hépatite E peut également provoquer des infections chroniques chez les patients immunodéprimés, tels que les personnes séropositives ou ayant reçu une greffe d’organe, entraînant des lésions et des cicatrices au niveau du foie (cirrhose).

Il n’existe pas de traitement spécifique, et l’approche la plus efficace consiste à essayer de prévenir les infections en ayant accès à de l’eau propre, à des installations sanitaires et en se lavant les mains.

Selon l’OMS, environ un tiers de la population mondiale a été exposée au virus de l’hépatite E, et 35 millions de personnes sont infectées chaque année, entraînant 70 000 décès – principalement au sein des populations pauvres et vulnérables ayant un accès limité à l’eau potable.

Chaque année, quatre à cinq épidémies sont signalées dans les pays soutenus par Gavi, et ces épidémies sont de plus en plus graves. C’est en Inde et en Afrique subsaharienne que la charge de morbidité est la plus importante, mais les épidémies se produisent de plus en plus dans les zones de guerre et les camps de réfugiés ou de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, où l’assainissement et l’eau potable ne peuvent pas être garantis.

Mise au point du vaccin

Le virus de l’hépatite E a été identifié pour la première fois dans les années 1980, et des études ultérieures ont révélé l’existence d’au moins quatre types différents. Les génotypes 1 et 2 infectent uniquement les humains et sont responsables des épidémies d’hépatite E dans les pays en développement, tandis que les génotypes 3 et 4 circulent également chez les animaux et sont principalement responsables de cas humains sporadiques, qui sont de plus en plus souvent signalés dans les pays développés depuis la fin des année 1990.

Dans la mesure où il n’existe pas de traitement spécifique de l’hépatite E, la mise au point d’un vaccin efficace est cruciale pour contribuer à prévenir et à contrôler cette maladie.

Dans la mesure où il n’existe pas de traitement spécifique de l’hépatite E, la mise au point d’un vaccin efficace est cruciale pour contribuer à prévenir et à contrôler cette maladie. Toutefois, les scientifiques ont eu du mal à cultiver le virus en laboratoire, ce qui a rendu impossible la mise au point de vaccins vivants ou inactivés traditionnels. Les efforts se sont plutôt concentrés sur la fabrication de la protéine structurelle de la capside qui renferme le matériel génétique du virus.

Des essais cliniques sur plusieurs candidats vaccins ont été menés dans les années 2000, dont un candidat développé par GSK en collaboration avec l’armée américaine. Bien qu’un essai de validation du concept mené sur 2 000 soldats ait suggéré que la prévention de l’hépatite E par la vaccination était faisable, GSK n’a pas pu identifier de partenaires du secteur public prêts à investir dans la poursuite du développement du vaccin, et le projet a été mis de côté.

Entre-temps, les scientifiques chinois ont mis au point leur propre vaccin candidat. L’hépatite E est endémique en Chine, avec neuf épidémies signalées entre 1982 et 1991, dont la plus importante a entraîné quelque 120 000 cas et 707 décès (dont 414 chez des femmes enceintes) entre 1986 et 1988.

À la suite de ces épidémies, des scientifiques chinois ont entrepris de mettre au point un vaccin basé sur des morceaux de protéines de capside du virus de l’hépatite E de génotype 1 qui s’auto-assemblent en particules semblables à des virus (VLP, virus-like particles) – des structures qui ressemblent physiquement au virus, mais qui ne contiennent pas de matériel génétique et sont par conséquent incapables d’infecter les cellules ou de se reproduire. Les vaccins à base de VLP ont également été développés et homologués contre d’autres virus, notamment le virus du papillome humain et l’hépatite B.

Vaccin homologué

Le vaccin contre l’hépatite E HEV p239 (Hecolin®) a été mis au point par Xiamen Innovax Biotech et approuvé par la Food and Drug Administration chinoise en 2011. Un essai clinique portant sur 112 604 personnes en bonne santé âgées de 16 à 65 ans a révélé une efficacité à 100 % dans la prévention de l’hépatite E clinique chez les personnes ayant reçu trois doses. Une évaluation à plus long terme a révélé une efficacité de 87 % quatre ans après l’administration d’une troisième dose.

Le Vaccin Hecolin est disponible en Chine depuis octobre 2012, où il est recommandé aux personnes âgées de 16 ans et plus qui présentent un risque élevé d’infection par le virus de l’hépatite E. Il s’agit notamment des personnes qui travaillent dans le secteur de l’élevage animal, de celles qui manipulent des aliments, des étudiants, des membres des forces armées, des femmes en âge de procréer et des personnes qui voyagent dans des zones endémiques.

En 2015, l’OMS a recommandé que les autorités nationales envisagent d’utiliser le vaccin Hecolin pour lutter contre les épidémies, mais son introduction à plus grande échelle a été entravée par le manque de données cliniques provenant de pays d’Afrique, d’Asie du Sud-Est et d’Asie du Sud, où l’hépatite E est plus répandue et où les génotypes I et II sont les types dominants. Le génotype dominant en Chine est le génotype 4, avec quelques cas de génotype 1.

Des données sur l’innocuité et l’efficacité chez les enfants, les patients âgés, les personnes souffrant de maladies hépatiques chroniques ou de troubles immunitaires et, surtout, les femmes enceintes, étaient également nécessaires.

Début 2021 Médecins Sans Frontières (MSF) a constitué un stock de 50 000 doses du vaccin Hecolin pour une riposte rapide aux épidémies. Elles ont été utilisées pour la première fois l’année suivante, afin de contribuer à maîtriser l’épidémie dans le camp de personnes déplacées de Bentiu.

Entre mars et octobre 2022, trois doses de vaccin ont été proposées à environ 27 000 personnes âgées de 16 à 65 ans vivant dans le camp, y compris les femmes enceintes, 113 % de l’objectif initial fixé à 26 848 personnes ayant été atteint au cours du troisième cycle.

L’hépatite E est endémique en Chine, avec neuf épidémies signalées entre 1982 et 1991, dont la plus importante a entraîné quelque 120 000 cas et 707 décès (dont 414 chez des femmes enceintes) entre 1986 et 1988.

La campagne a mis en évidence plusieurs difficultés liées au transport, au stockage et à la gestion des déchets du vaccin, autant d’enseignements précieux pour les futures campagnes de vaccination. Les études en cours permettent également d’obtenir des données supplémentaires sur l’efficacité et l’innocuité du vaccin dans le contexte de cette riposte épidémique. De telles études d’observation pourraient également fournir de précieuses informations sur le niveau de protection offert par une ou deux doses de vaccin seulement – dans la mesure où l’administration des trois doses recommandées est coûteuse et difficile dans le cadre d’une épidémie, en particulier parmi les populations déplacées dont l’infrastructure de soins de santé est limitée.

D’autres essais récents ont démontré que la vaccin Hecolin est sûr et génère une réponse immunitaire chez les personnes âgées de plus de 65 ans et les personnes par ailleurs infectées par l’hépatite B. Les résultats d’une étude menée auprès de personnes souffrant d’une maladie hépatique chronique devraient être publiés prochainement.

Bien que des données sur les femmes enceintes et les enfants soient encore nécessaires, ces études comblent progressivement les lacunes qui empêchent le déploiement à grande échelle de ce vaccin. Compte tenu de la menace que représente l’hépatite E pour la santé publique, ces données sont tout particulièrement attendues.