Ce que nous apprend l’Opération Koutouho pour atteindre les enfants zéro dose au Niger

Les enfants représentant plus de la moitié de la population du Niger, la nécessité d'une stratégie pour s'assurer qu'aucun d'entre eux ne soit privé de vaccins vitaux est un impératif. C'est pourquoi l'opération Koutouho a été lancée par le ministère de la santé avec l’appui de Gavi et des autres partenaires de la vaccination pour contribuer à cet objectif. Voici ce que nous pouvons apprendre de cette initiative innovante.

  • 28 avril 2023
  • 7 min de lecture
  • par Assa Samaké-Roman
L'opération Koutouho vise à identifier puis vacciner les enfants zéro dose. Crédit : Isaac Griberg
L'opération Koutouho vise à identifier puis vacciner les enfants zéro dose. Crédit : Isaac Griberg
 

 

La problématique des enfants zéro dose, c'est-à-dire ceux qui n’ont pas reçu une seule dose de vaccins inclus dans le calendrier vaccinal, est une préoccupation importante dans de nombreux pays, dont le Niger.

Selon les estimations 2022 de la couverture vaccinale nationale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'UNICEF (WUENIC), près de 70.000 enfants de 1 a 23 mois (et sans doute beaucoup plus selon d’autres sources) n’ont accès à aucune vaccination, et le pourcentage d'enfants ayant reçu trois doses de vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTC3) – un marqueur de base de la couverture vaccinale – est resté stable autour de 80% (82 % en 2021), ce qui n’est pas satisfaisant selon les normes attendues (plus de 90%).

Les moyens de transport sont essentiels pour s'assurer que les vaccins parviennent aux points de prestations

L'Opération “Koutouho” est une campagne nationale de santé publique axée sur la vaccination au Niger dont l'objectif est de réduire le nombre d'enfants à zéro dose en offrant des vaccinations gratuites et en améliorant l'accès aux services de santé.

Une analyse minutieuse a permis de cibler les aires de santé qui présentent le plus grand nombre d'enfants non vaccinés ou sous vaccinés. Depuis le lancement en octobre 2022, plus de 17 000 enfants zéro dose ont été identifiés dans 15 districts du Niger, dont 14 000 ont reçu leur première vaccination.

Les raisons pour lesquelles les enfants sont souvent en retard dans le calendrier vaccinal sont liées à une multitude de facteurs. En effet, le Niger est un vaste pays avec de nombreuses zones reculées qui peuvent être difficiles d'accès – le Sahara représente 80% du pays. Les établissements de santé et les centres de vaccination sont souvent éloignés des populations rurales, ce qui rend difficile pour les parents d'amener leurs enfants pour les faire vacciner.

« C’est vraiment un grand soulagement et un grand plaisir quand on arrive à trouver les enfants zéro dose et de savoir qu'on est peut-être arrivé à sauver un enfant du risque de développer une maladie qui pouvait compromettre sa vie ».

– Dr Habou Abdoulrahamane, médecin-chef du troisième arrondissement à Niamey

C'est le cas de Djamila Saley, une jeune maman, qui fait partie des nombreux parents à avoir visité le CSI Madina, un centre de santé situé au cœur de la capitale du pays, Niamey. « Ma plus grande inquiétude sur la santé de mon enfant : quand il est malade je n’ai pas l'esprit tranquille. Je veux le voir grandir et en bonne santé. J'ai choisi de faire vacciner mon enfant à temps pour qu'il ne soit pas atteint des maladies. Il est important de vacciner son enfant à temps pour le protéger contre plusieurs maladies », selon elle. « Mon enfant n'a pas eu ses vaccinations parce que le CSI est loin de chez moi et les frais de transport sont difficiles pour moi. Il y a beaucoup d'enfants qui sont vaccinés dans mon entourage. La vaccination des enfants est très importante pour le pays. »

Djamila Saley et son fils au CSI Madina, un centre de santé situé à Niamey, au Niger.
Djamila Saley et son fils au CSI Madina, un centre de santé situé à Niamey, au Niger.
Crédit : Isaac Griberg

Les programmes pour promouvoir les bons comportements en santé sont essentiels pour inclure toutes les communautés

C'est pourquoi les agents de santé communautaires sont si importants pour s'assurer que les communautés éloignées reçoivent les bonnes informations et puissent faire vacciner leurs enfants. Rachida Souleymane, agent de santé communautaire du CSI Madina, l'a bien compris : son travail permet de combler le fossé avec les communautés éloignées et d'inciter davantage les parents à participer au programme de vaccination. « Les parents ne refusent pas de faire vacciner leurs enfants mais il y a d'autres qui habitent loin du Centre de santé et n'ont pas de moyen pour leur déplacement », explique-t-elle. « Nous nous rendons dans les ménages et nous leur énumérons les différentes maladies contre lesquelles on vaccine les enfants. Nous faisons la comparaison entre l'évolution d'un enfant qui a reçu toutes ses vaccinations et celui qui n'a reçu aucune vaccination. La vaccination est très appréciée par la communauté. »

Rachida Moussa (en rouge), un agent de santé communautaire à Niamey, au Niger, photographiés avec des enfants qui vivent dans une communauté qu’elle couvre.
Rachida Moussa (en rouge), un agent de santé communautaire à Niamey, au Niger, photographiés avec des enfants qui vivent dans une communauté qu’elle couvre.
Crédit : Isaac Griberg

La vaccination, l’affaire de tous

On ne dira jamais assez à quel point il est vital d'inclure les leaders communautaires dans les campagnes de vaccination. En tant que personnes respectées au sein de leurs communautés, ils jouent un rôle crucial dans la promotion de la vaccination, la dissipation des rumeurs et la désinformation, ainsi que l'identification de ceux qui ont le plus besoin d'aide. En tirant parti de leur influence et de leur crédibilité, les dirigeants communautaires peuvent contribuer à augmenter les taux de vaccination et à protéger la santé de leurs communautés.

C'est aussi cela que l'opération Koutouho fait, explique le Dr Habou Abdoulrahamane, médecin-chef du troisième arrondissement à Niamey. « On collabore avec les chefs de quartier pour identifier les personnes qui sont vulnérables », explique-t-il. « C’est vraiment un grand soulagement et un grand plaisir quand on arrive à trouver les enfants zéro dose et de savoir qu'on est peut-être arrivé à sauver un enfant du risque de développer une maladie qui pouvait compromettre sa vie », dit-il.

Le Dr Habou Abdoulrahamane, médecin-chef du troisième district de Niamey, au Niger, explique certains des défis liés à l'identification et à la vaccination des enfants zéro dose.
Le Dr Habou Abdoulrahamane, médecin-chef du troisième district de Niamey, au Niger, explique certains des défis liés à l'identification et à la vaccination des enfants zéro dose.
Crédit : Isaac Griberg

Le Dr Kaya Guylain Sheria Mutenda, en charge de l’immunisation à l'Organisation mondiale de la santé au Niger, abonde dans ce sens. « La vaccination, c'est d'abord l'apanage de la communauté. Donc on doit impliquer vraiment la communauté, de la planification jusqu'à la mise en œuvre », soutient-elle. « Mais si la communauté n'est pas impliquée, elle trouve que vous lui amenez quelque chose d'étranger. Tous ces facteurs contribuent à une désinformation. »

La collecte et l'analyse rigoureuse des données font partie intégrante de la mission

Un suivi et une collecte de données efficaces sont essentiels pour évaluer le succès d'une campagne de vaccination et identifier les endroits où il doit y avoir des améliorations. Les données jouent également un rôle crucial pour garantir que les efforts de vaccination sont efficaces, bien coordonnés et atteignent les populations visées. Avec l'opération Koutouho, il fallait disposer de systèmes pour suivre la couverture vaccinale et identifier avec précision les enfants zéro dose, explique le Dr Mutenda. « Pour atteindre de meilleures performances et arriver à des niveaux très élevés de couverture pour la vaccination, l'OMS appuie le pays dans la mise en place des registres électroniques de vaccination. Cela signifie que chaque enfant vacciné sera pré-enregistré dans l'outil, afin qu'il puisse avoir des rappels et être suivi individuellement. »

Il ajoute : « L'autre innovation que l'OMS appuie énormément au niveau du pays, c'est de mettre à profit le système d'information géographique pour pouvoir cartographier en temps réel l'ensemble des activités liées à la vaccination, y compris les autres activités de surveillance des maladies évitables par la vaccination. »

Un bébé joue avec sa mère et un agent de santé au CSI Nouveau Marché, un centre de santé à Niamey, au Niger.
Un bébé joue avec sa mère et un agent de santé au CSI Nouveau Marché, un centre de santé à Niamey, au Niger.
Crédit : Isaac Griberg

Les campagnes de vaccination doivent être adaptées aux besoins spécifiques de la population

Plus important encore, le succès de Koutouho réside dans le fait que l’opération a été conçue en tenant compte des besoins des populations cibles. C’est crucial car différentes communautés ont des caractéristiques, des croyances et des défis uniques qui peuvent influencer leur attitude face à la vaccination.

« Nous avons déjà la perspective d'avoir des stratégies à part entière pour les populations flottantes, périurbaines, qui sont un véritable défi pour tous nos districts sanitaires. Également, nous avons d'autres enjeux très importants avec l'insécurité au niveau de plusieurs régions. De plus, nous avons un autre défi avec les populations nomades qui se déplacent au gré des saisons à la recherche de pâturages. Koutouho fait le lien entre toutes ces stratégies », déclare le Dr Assan Abdoul Nasser, Directeur des Immunisations au Ministère de la Santé Publique, de la Population et des Affaires Sociales du Niger.

Les autorités sanitaires ont dû faire preuve de créativité pour atteindre l'importante population nomade du Niger, explique le Dr Nasser. « Nous savons qu'il y a des fêtes annuelles qui sont organisées, qui regroupent ces populations concernées. Koutouho constitue un levier essentiel, autour de cette fête annuelle, pour véritablement offrir tous les vaccins à ces populations a cette occasion. qui se regroupent pendant une période assez importante. Il faudra également travailler avec les leaders de ces populations pour identifier les couloirs de passage et les marchés hebdomadaires où ils vont pour leur ravitaillement, et ainsi placer des équipes de vaccination. Et quand ces populations arrivent au niveau de ces différents coins, on pourra facilement les retrouver et les vacciner. »