Au Togo, l’hésitation face au vaccin anti-COVID contamine la vaccination de routine

En février 2022, avec l’appui des partenaires comme Gavi, le Togo a organisé une vaste compagne de vaccination contre la poliomyélite. Des cas de cette maladie infectieuse invalidante avaient été signalés dans plusieurs localités du pays. Malheureusement, l’objectif de vacciner 763.000 enfants nés entre avril 2016 et août 2019 n’a pas été atteint, en particulier à cause d’un phénomène apparu pendant la pandémie : le refus catégorique de plus en plus de parents d’immuniser leurs enfants.

  • 12 juillet 2022
  • 5 min de lecture
  • par Nephthali Messanh Ledy
Bè, un quartier populaire de Lomé, situé sur la lagune, à l'est de la ville. Crédit : Nephtali Ledy
Bè, un quartier populaire de Lomé, situé sur la lagune, à l'est de la ville. Crédit : Nephtali Ledy
 

 

Désinformation via les réseaux sociaux

Depuis le début de la crise sanitaire liée à la COVID-19 et les rumeurs infondées qui entourent les vaccins destinés à la lutte contre le virus, plusieurs parents ont décidé de ne plus faire vacciner leurs enfants à bas âge. C’est le cas de Maimouna, 25 ans, mère de deux enfants de 5 et 3 ans, habitant le quartier Bè, l’un des quartiers populaires de Lomé. « Avant la COVID, je n’avais aucun problème pour faire vacciner mes enfants. Mais avec tout ce qu’on a entendu sur les réseaux sur les vaccins et particulièrement sur le vaccin contre la COVID-19, je n’ai plus confiance. Aujourd’hui, les vaccins ne font peur. Je ne suis pas du tout rassurée pour faire vacciner mes enfants », explique la jeune maman sur un ton ferme, avant de relativiser : « c’est vrai que je n’ai personnellement pas vu le vaccin causer des problèmes de santé à une personne, mais on a vu beaucoup de choses sur Whatsapp. Et ce n’est pas du tout rassurant ».

Alors que les vaccins de routine ont fait leurs preuves depuis des années et ont sauvé des dizaines de millions de vies à travers le monde, ces parents s’interrogent aujourd’hui sur leur innocuité et doutent même de leurs bénéfices.

A l’image de Maimouna, plusieurs parents rechignent désormais à vacciner leurs enfants. Alors que les vaccins de routine ont fait leurs preuves depuis des années et ont sauvé des dizaines de millions de vies à travers le monde, ces parents s’interrogent aujourd’hui sur leur innocuité et doutent même de leurs bénéfices. « C’est mon mari qui m’a ordonné de ne plus faire vacciner nos enfants. Il s’est vacciné lui-même contre le coronavirus et il a eu plusieurs des effets secondaires notamment des maux de tête et la fièvre. C’est à partir de ce moment qu’il m’a demandé de ne plus faire vacciner les enfants », confie pour sa part Akossiwa, mère d’une fille d’un an et demi. « Je ne peux pas faire le contraire de ce que mon mari me demande », conclut-elle.

Confusion entre les vaccins

À bien des égards, certains parents confondent la campagne de vaccination contre la COVID et celle contre les maladies telles que la rougeole ou encore la poliomyélite. Malgré les explications des agents de santé, ils entendent difficilement raison. Lors de la dernière campagne contre la poliomyélite, rien que dans le quartier de Bè, les agents de santé communautaires ont recensé des dizaines de ménages qui ont refusé de faire vacciner leurs enfants.

« Avant la pandémie, le travail était facile. Dès que nous entrions dans une maison, ce sont les parents même qui amenaient leurs enfants pour la vaccination. Mais depuis l’avènement de la COVID-19, plusieurs parents ne veulent plus entendre parler des vaccins. Même pour un simple déparasitage, c’est très compliqué », a déploré Kouda Délali, agent de santé communautaire que nous avons rencontrée à l’Hôpital de Bè.

Même son de cloche chez son collègue, Arnaud Mawugan. « Nous avons reçu des menaces. Parfois, dès que nous arrivont, les enfants sont enfermés dans les chambres. Il y a eu des cas où nous avons été chassés des maisons », relève-t-il, lui qui préfère en rire.

Selon d’autres professionnels de la santé que nous avons interrogés, l’affluence a également baissé dans les centres de vaccination pour enfant installés dans les hôpitaux. Une situation que l’on explique au niveau de la Plateforme des Organisations de la Société Civile pour la Vaccination et l'Immunisation au Togo (POSCVI-Togo) par deux facteurs.

Une famille de Bè, à Lomé, qui refuse de faire vacciner ses enfants. Crédit : Nephtali Ledy
Une famille de Bè, à Lomé, qui refuse de faire vacciner ses enfants.
Crédit : Nephtali Ledy

« La première est que les gens ont peur de s’infecter dans les hôpitaux. La deuxième raison, ce sont les rumeurs qui circulent sur les vaccins anti-COVID », souligne Augustin Kola, le coordonnateur de la plateforme créée en 2015.

Sensibiliser pour rassurer

Ainsi, pour redonner confiance aux parents réticents et les convaincre à reprendre la vaccination de routine, cette organisation de la société civile a entrepris une campagne de sensibilisation, notamment dans les médias. « Nous avons réalisé des spots publicitaires pour demander aux mères de ne pas arrêter la vaccination de routine des enfants, et nous leur expliquons ce qui peut résulter de ces décisions », ajoute Augustin Kola.

« Quand une zone de réticence est identifiée, nous intervenons en apportant la bonne information pour que les parents laissent les enfants se faire vacciner »

Outre les spots publicitaires et les émissions radiophoniques, la plateforme transmet également de « vraies informations » aux populations afin de faire taire les rumeurs. « Nous faisons la gestion des fausses rumeurs. On collecte les rumeurs, puis en collaboration avec la Division de l’immunisation du ministère en charge de la Santé et la cellule de communication du ministère de la santé, et aussi l’implication des autorités locales, nous formulons des messages clés à l’endroit des communautés. Avec ce procédé, nous avons aujourd’hui, une cartographie des zones de réticences. Nous sommes également présents dans les équipes de supervision des campagnes vaccinales. Et quand une zone de réticence est identifiée, nous intervenons en apportant la bonne information pour que les parents laissent les enfants se faire vacciner », a souligné M. Kola.

Du côté des autorités publiques, des stratégies sont également mises en place pour faire adhérer les parents aux campagnes de vaccinations de routine. Il s’agit notamment de causeries-débats dans les communautés au cours desquelles les populations exposent leurs inquiétudes.

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